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« Ni juge, ni soumise » : contre le surréalisme belge

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« Ni juge, ni soumise » : contre le surréalisme belge

Le surréalisme à la belge est autant une fierté nationale qu’un produit formaté à destination de l’international. Le récent appel d’air occasionné par le retour en grâce des Diables Rouges et leur qualification pour la coupe du monde 2014 au Brésil a remis la Belgitude au bout du jour. Le petit belge et son surréalisme bien à lui sont devenus trendy. Beaucoup, dans le monde, nous envierait donc notre humour, notre diversité, notre créativité, la singularité de nos œuvres et la variété de leurs formes. C’est un discours qu’on a déjà servi ad nauseam, à la manière des spots publicitaires de terroir qu’on trouve dans les aéroports et qui vantent en boucle les merveilles du patrimoine local. Sauf que ce discours est une pure invention du système et des politiciens qui le soutiennent, dans le but de fédérer, de légitimer une utilisation non questionnée de l’argent public destiné à la culture et de réaffirmer, entre les lignes, le soutien à un idéal patriotique dont on se passerait bien. Remettons les pendules à l’heure : tout le monde s’en fout de la Belgitude, et en premier lieu les belges (qui ne voient pas de films belges, pour citer un exemple), à qui on impose de force cette identité nationale (dissimulée derrière une grande diversité) et pour laquelle la non-adhésion serait vue comme une trahison.

Le surréalisme belge est ainsi devenu un marqueur identitaire. Plus précisément : la pierre angulaire légitimée par le système d’une fierté patriotique illusoire. Ses ramifications sont nombreuses. Elle offre une manière de nous sentir unis dans le chaos généralisé. Tous les belges doivent se sentir belges. C’est un mouvement solidaire imaginaire : quand un belge a un accident à l’autre bout du monde, il y a de forte chance que sa petite histoire se retrouve en bonne place sur les sites web des grands journaux. « Mon Dieu, il et arrivé quelque chose à un touriste belge au Zimbabwe ! ». Et que de dire des succes story des petits belges qui réussissent à Paris ? Et que dire encore des diables rouges et le haut degré de bêtise qui accompagne chacun de leurs faits et gestes (« Insolite : regardez ce qu’à fait Romelu Lukaku hier soir en boîte ! ») ? Le surréalisme à la belge est la vitrine de cet élan chauviniste et nationaliste insupportable : son cœur inattaquable autant que le ciment qui fait tenir l’édifice. Il en est la forme légitime et culturellement indiscutable.

Le film documentaire de Yves Hinant et Jean Libon, Ni Juge, ni soumise, dit le premier film « Striptease », repose discrètement sur ce tropisme identitaire. Les deux cinéastes suivent la juge d’instruction Anne Gruwez, un personnage typiquement belge : à la fois perchée et excentrique, cette brusseleir pur jus est un symbole de la Belgitude par excellence. Anne Gruwez roule en Citroën 2 chevaux, possède un rat qu’elle laisse en liberté dans sa maison et qu’elle nourrit avec les escargots de son jardin, a une langue bien pendue et pas avare en expressions croustillantes, et ne semble pas avoir de limites dans la gestion cocasse de ses dossiers professionnels. Anne Gruwez est typiquement belge. C’est une créature que seul le surréalisme belge est capable d’inventer. Un produit parfaitement formaté à l’image de la belgitude nationale. Les deux réalisateurs ne s’y trompent pas, ils savent qu’ils ont entre les mains une pépite et une excellente cliente.

Ni Juge, ni soumise vend ainsi un produit belge. Mais pas de n’importe quelle manière : en opposant la belgitude à ce qui ne l’est pas, à savoir les étrangers non intégrés dans la société. La majeure partie du film se déroule dans les bureaux du palais de justice où exerce Anne Gruwez. Les clients, tous aussi farfelus les uns que les autres, défilent dans son bureau. Turcs, africains du nord, consanguins d’Europe de l’Est… Leur « surréalisme » n’est pas de la même nature. Il est maladif, dangereux et inadapté à la belle et radieuse société belge. Très vite, nous comprenons qu’un surréalisme prend le dessus sur l’autre. L’un est noble, l’autre est dégénérescent. Les deux réalisateurs invitent le spectateur non plus à rire d’une cocasserie générale, comme c’est le cas habituellement dans Striptease, mais simultanément à rire et condamner des êtres humains présentés comme des déchets de la société. C’est un rire de droite, un rire d’état et lié au pouvoir, le rire du surréaliste belge contre la misère dans la société.

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